
2019 a été pour moi une année exceptionnelle, remplie de découvertes et de nouvelles sensations. L’apprentissage de la conduite moto a été une grande révélation. La moto et moi sommes devenues amies, ce genre de pote qu’on a l’impression d’avoir toujours connu. J’avais donc de grandes attentes pour l’année à venir.
Rien ne s’est passé comme prévu en 2020. Rien.
Janvier. Tout a commencé par ce diagnostic de cancer qui a teinté mon début d’année. La nuance était plutôt sombre, mais pas question de me laisser abattre. J’ai affronté les épreuves une par une, tout comme je n’anticipe pas les difficultés de la route quand je suis à moto. Je me dis toujours qu’on verra quand on sera sur place.
Février. J’avais hâte au Salon de la Moto de Montréal. C’était jouable pour moi d’y participer après l’opération de retrait de la tumeur dans mon sein. J’avais 10 jours pour me remettre suffisamment sur pied. Mais une espèce de grippe avec de fortes allures de Covid-19 m’a clouée à la maison. J’ai voulu me faire tester, j’ai supplié les préposés au bout du téléphone, mais on m’a refusé ce privilège réservé à ceux qui revenaient de voyage. Alors je n’ai pas la confirmation s’il s’agissait effectivement du vilain virus, mais en tout cas, mes poumons ont passé un mauvais quart d’heure.
Mars. J’ai entamé ma double convalescence en regardant le monde se refermer sur lui-même et compter ceux qui tombaient au combat. Malgré tout, je m’en suis assez bien tirée, je ne sais pas si le fait que j’avais grandement pris soin de ma santé avant l’opération a aidé. Mais j’avoue que cette « grippe » m’a plus mise KO que l’opération. Même si c’était quand même douloureux. Difficile de trouver une position pour dormir ou de supporter les soutiens-gorges obligatoires (encore aujourd’hui).
Avril. Dans les dépliants sur le cancer, ils disent qu’il faut faire de l’exercice. Au moins 30 minutes par jour, afin de prévenir cette maladie et bien d’autres. Alors je me suis mise à la marche rapide sur tapis roulant, en attendant que la glace fonde dans les rues pour pouvoir marcher dehors. Un mois après le début du confinement, le gouvernement a commencé à donner du lest, permettant à quelques magasins moins essentiels d’ouvrir. Vers la fin d’avril, on a enfin pu ramener nos motos qui étaient entreposées à Montréal, chez Moto Internationale, à la maison. J’ai commencé à me visualiser aux guidons et ça m’a fait du bien. Guérir signifiait recommencer à rouler.
Mai. Long mois de radiothérapie. François avait envisagé de laisser les motos remisées jusqu’en juin pour économiser des sous. Cette idée ne tenait pas debout. Faire de la moto était notre seule joie, puisqu’on n’avait plus le droit de visiter nos amis ou d’aller voir des spectacles. J’ai fait ma première sortie de l’année le 19, heureuse de constater que je n’avais pas tout perdu. Il ne faut pas oublier que je n’avais que 6 mois d’expérience. Mais 10 000 km au compteur, tout de même. Quel bonheur et quel sentiment de liberté après n’avoir fréquenté que des salles d’examens d’hôpitaux.
Dire que dans mes plans initiaux, je voulais passer mon examen de permis moto le 20 mai. De toute façon, j’étais loin d’être prête et les gens de la SAAQ non plus. Bureaux fermés.
Juin. Le mois suivant a bien commencé, par une première sortie avec le Club moto BMW. Bien entendu, il fallait respecter des règles de distanciation et porter des masques. À moto, on roule déjà à une distance raisonnable les uns des autres et dans le Club, on porte tous des casques intégraux. Sans compter que chaque centimètre de notre peau est protégé ou ganté. Alors tant qu’on roule, aucun problème. Comme tous les restaurants sont fermés, on a prévu pour dîner faire un pique-nique dans un joli parc. Quand tout se passe au grand air, ça limite les risques d’infection.
Il faut voir comme cette sortie nous a fait du bien au moral. Revoir ces visages amicaux, reprendre d’assaut les routes pleines de courbes. Pourtant, la veille au soir, je me demandais si j’allais être en mesure de remonter en selle. Je venais de terminer mes traitements et je me sentais encore un peu faible. J’ai passé une très mauvaise nuit à souffrir des brûlures infligées par la radiothérapie. Peu importe, j’ai traversé cette journée sur un petit nuage grâce à nos amis motards et à une bonne dose d’adrénaline et d’air frais.
Deux semaines plus tard, je peux enfin prendre mon rendez-vous auprès de la SAAQ pour passer mon permis-moto. Le 23 juin, c’est enfin dans la poche. Ça y est, je suis officiellement une vraie motarde. Youpi!
Juillet. Il fait chaud. Parfois trop chaud pour que je sorte avec le club. Je ne me sens pas toujours l’énergie pour affronter de longues journées de canicule. Puisque j’ai enfin le droit de me plonger dans ma piscine, je ne manque pas d’en profiter. Je continue de faire de l’exercice quotidiennement depuis que j’ai débuté en avril. J’ai commencé un nouveau traitement d’hormonothérapie. Je vis au rythme des rendez-vous médicaux. J’en ai pour quelques années comme ça. Heureusement, il y a la moto…
Août. Ça fait longtemps qu’on y réfléchit. On a décidé d’aller voir ma famille en Abitibi à moto. Je rêve de rouler avec mes cousins Martin et Claude. C’est cool de réaliser un rêve. Mais j’ai de la difficulté à croire que c’est bien vrai. Tout se passe trop vite. On dirait que c’est normal que je me retrouve là à rouler avec eux, alors que c’est quand même bien spécial, non? Qui l’aurait cru, deux ans plus tôt, alors que je jouais les sacs de patates, campée sur la selle de la moto de François. Je suis si fière de moi. Fière de faire partie de la gang de bikers de la famille qui ne compte pas tant de membres que cela. Fière d’avoir parcouru plus de six cents kilomètres pour aller les rejoindre, après tout ce que j’ai traversé depuis le début de l’année.
Au retour, on prend rendez-vous pour changer les pneus de ma moto et le kit chaîne. Il était temps! Cette dernière passait son temps à se désajuster au grand déplaisir de François.
J’ai appris à entretenir ma chaîne moi-même, c’est-à-dire, à la nettoyer et la graisser. J’aimerais bien en savoir plus sur la mécanique moto.
Septembre. Enfin, la température est plus fraîche, mais le soleil n’est pas toujours au rendez-vous. J’ai l’impression d’avoir moins roulé que l’an dernier. Pourtant ce n’est pas le cas. J’ai participé à presque toutes les sorties du club, sauf une en juillet et l’autre quand on était en Abitibi.
Le 20 septembre, en revenant d’une balade à moto dans un vignoble avec la gang, j’apprends que mon cousin Martin nous a quitté la veille. Crise de cœur foudroyante. Je n’arrive pas à y croire. Ça ne me rentre toujours pas dans la tête. Lors de notre virée en Abitibi, on a bien rigolé et j’ai pris des dizaines de photos de son sourire fendu jusqu’aux oreilles. Il n’a pas pu profiter longtemps de sa nouvelle Harley. Et moi du plaisir de rouler avec lui. Mais quand je pense à sa femme et à ses deux jeunes filles, je me dis que la vie est bien cruelle. Et ça me rappelle qu’il faut bien profiter de chaque instant. Ma vie est encore fragile et je ne suis pas complètement tirée d’affaire.
Octobre. Avec la gang, on a quand même trouvé le tour de se concocter une belle grande saison de moto. À présent, on est en plein re-confinement. Les restaurants qui avaient rouverts en saison estivale sont à nouveaux fermés. On nous demande de faire des efforts, d’éviter les rassemblements, alors je n’ai plus trop le cœur à faire les dernières sorties de groupe. Je pense qu’il faut respecter les directives du gouvernement si on veut s’en sortir un jour.
L’automne est frisquet, pluvieux. Mais les couleurs sont toujours aussi belles et on a la chance d’habiter dans les Laurentides où les arbres se parent de centaines de chaudes nuances. Avec François, on se fait de belles virées: le mot est bien choisi, autant que les routes pleines de courbes. Je n’ai pas le goût que ça s’arrête. Vers la fin du mois, on a eu nos premiers flocons de neige. Il va falloir penser à remiser nos motos et à monter notre abri Tempo.
Novembre. En étudiant bien la tendance météo, j’ai réalisé qu’on allait avoir droit à un sacré redoux au début de novembre. Heureusement qu’on n’a pas eu le temps de remiser nos motos. Lors de notre dernière balade, le mercure monte jusqu’à 23°C. On peut pique-niquer sans nos manteaux. On s’offre une belle virée dans quelques-uns de nos endroits préférés. Les jours suivants, la température se remet à chuter. On se décide à amener nos motos chez un concessionnaire du coin, pour qu’elles passent l’hiver au chaud elles aussi. Et on commence à rêver de garage. Un beau garage pour nos motos. Comme ça, on n’aurait plus à se casser la tête avec le remisage. Je sens que François commence à l’envisager sérieusement. Mais avec l’incertitude de la pandémie côté revenus et la flambée des prix des matériaux, ce n’est pas le temps de se lancer dans de telles dépenses.
Décembre. D’abord, on nous avait dit que des rassemblements de 10 personnes seraient permis durant le temps des fêtes, puis on nous a repris ce cadeau. Pas de Noël en famille cette année. François et moi, on arrive à se créer quand même de beaux petits moments sympas. La magie de Noël opère. Vraiment. Mais j’ai un contrat de scénarisation à terminer pour le 8 janvier et il me semble que ça n’avance pas vite. Alors je vais travailler tout le temps des fêtes sauf le 25 décembre. Puis j’apprends une bonne nouvelle : une maison d’édition est intéressée par mon Journal d’une apprentie-motarde. Bon, on se réjouira vraiment quand le contrat sera signé. J’ai toujours peur qu’ils changent d’avis avec la conjoncture économique actuelle…
Bilan. J’aurai roulé 11 000 km à moto cette année. C’est quand même pas mal, compte tenu des circonstances.
Je doute qu’il y ait un Salon de la moto en février 2021. Alors le reste de l’hiver paraîtra un peu plus long. Et puis on ne pourra pas se réunir dans un resto avec la gang, comme on avait l’habitude de la faire.
Le confinement est dur pour les nerfs. Il y aura des séquelles chez plusieurs personnes. Mais tant qu’il y a de la vie, il y a de l’espoir, comme on dit. Courage!